Dynamique de la coulée

Dynamique de la coulée

 

Description sommaire du projet

L’érable à sucre subit une pression importante par la modification des conditions environnementales produites par les changements climatiques. Nous proposons un projet scientifique d’envergure, novateur et fédérateur qui rassemble une équipe multidisciplinaire de chercheurs, praticiens et producteurs à travers le Québec pour faire progresser les connaissances en acériculture, les synthétiser, et les traduire dans des pratiques acéricoles adaptées aux changements climatiques. Le projet, d’une durée de trois ans, profitera d’un système de collecte de données en placette permanente pour étudier le rôle de la triade climat-phytochimie-microbiologie dans les processus physiologiques de coulée et la production d’eau d’érable en sous vide. Pour ce faire, nous analyserons la saison des sucres et ses changements à différentes échelles spatiales et temporelles à l’aide de capteurs à haute résolution. Nous quantifierons les composantes fonctionnelles morpho-anatomiques, physiologiques, phytochimiques, microbiologiques et environnementales impliquées dans la réactivation de la croissance des tiges et dans la qualité de la coulée, en termes de volume et de concentration en composées organique et inorganiques de l’eau d’érable. Les résultats permettront de relier le potentiel productif de la coulée en fonction de la physiologie des arbres et de la présence de microorganismes, et de proposer des approches d’entaillage pour optimiser le rendement et réduire la contamination microbienne. Nous expliquerons les composantes environnementales impliquées dans le phénomène de la coulée et quantifierons les modifications dans la dynamique de la coulée dans un contexte de changement climatique. Nous proposerons de bonnes pratiques de production adaptées aux nouvelles conditions de croissance de l’érable dans un contexte de changement climatique. Le projet permettra d’acquérir les connaissances sur les mécanismes qui sont à la base de la coulée naturelle et de la dynamique de production de la sève afin de mettre en place des systèmes d’extraction efficaces, rentables et durables tout en assurant le maintien de la capacité productive de l’érable et la santé de l’écosystème. Les résultats se traduiront en outils d’aide à la décision pour les producteurs et les praticiens pour orienter les politiques de planification et de gestion de l’activité acéricole à travers l’aire de distribution de l’érable et en fonction des spécificités environnementales locales. 

 

Mise en contexte

LA RECHERCHE EN ACERICULTURE – La recherche en milieu forestier au Québec se concentre principalement sur les conifères. Peu d’études sont réalisées sur les feuillus, les espèces dominantes des lots privés au sud du Québec. Malgré son importance pour le Canada, les connaissances sur l’érable restent largement négligées, et reliées à des projets spécifiques, souvent développés au niveau régional. Une telle fragmentation de la recherche réalisée auprès de groupes restreints ou locaux risque (1) d’empêcher la généralisation ou l’application des résultats à la grandeur de la Province, (2) de freiner le partage des connaissances à l’ensemble des intervenants du monde acéricole, et (3) d’entrainer un dédoublement dispendieux et inutile des projets. La majeure partie de l’information en acériculture est issue d’une littérature grise, caractérisée par un intérêt et une diffusion locale. Elle est donc difficile à repérer et à corroborer puisqu’il manque une validation de la qualité des méthodes faite par un comité d’experts indépendants (p.ex. révision par les pairs). 


Les travaux dans le secteur acéricole se concentrent sur les processus de préparation et de transformation du sirop d’érable et sur la qualité du produit fini, ce qui constitue seulement la partie terminale d’une longue filière de production qui a son origine en forêt et qui implique une panoplie de composantes biotiques (les arbres et leurs microbiomes), environnementales (le climat, le sol et la lumière) et anthropiques (les stratégies d’entaillage et le système d’extraction et de transport de la sève). 


Ces constats démontrent clairement le besoin urgent d’un effort stratégique de mobilisation de la recherche forestière en acériculture qui vise à réseauter les intervenants du monde acéricole à travers la province. Pour répondre à ce besoin, nous proposons un projet pilote d’envergure, fédérateur, déployé sur trois ans et définissant des lignes directrices projetées dans l'avenir. Nous profiterons de l’équipement de stations d’observation pour un suivi à long terme et à haute résolution temporelle sur trois sites le long de la répartition latitudinale de la production acéricole au Québec. Nous visons à développer les connaissances sur les processus impliqués dans la croissance, la santé et le développement des arbres dans l’écosystème de l’érablière et sur le phénomène de la coulée naturelle et de production de l’eau d’érable dans un contexte de changements climatiques. 


L’ÉRABLE ET LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES – Avec les changements climatiques en cours, l’érable à sucre subira une modification des conditions environnementales dans son aire de répartition actuelle en Amérique du Nord. Devant ce constat, les régions au nord de l’aire de répartition de l’érable sont appelées à devenir un refuge privilégié pour l’espèce, tandis que le réchauffement pourrait causer des modifications importantes dans les régions plus méridionales au Québec. Les microorganismes associés aux arbres sont des communautés complexes qui contribuent à leur croissance et leur santé. Or, ces communautés sont vouées à changer avec les bouleversements climatiques qui menacent les forêts, particulièrement à de hautes latitudes. En raison de leur vitesse de régénération et de leur capacité de dispersion, il est possible que la réponse des espèces microbiennes qui forment ces communautés soit déjà en cours, entrainant des changements rapides dans la santé et la croissance des arbres, et dans la qualité du sirop. Par exemple, une espèce de levure associée positivement à la saveur d’érable du sirop et sensible à la température ne se développe qu’en dessous de 18-20 °C. Il est donc urgent d'anticiper les changements dans les conditions de croissance de l'érable pour adapter la production aux conditions attendues dans le futur ou de profiter des nouvelles opportunités de développement. 


LE TEMPS DES SUCRES – Bien que le temps des sucres s’étende sur plusieurs semaines, les coulées les plus intenses ne durent que quelques jours, et varient en fonction des conditions environnementales journalières. Certaines journées sont meilleures que d’autres, certaines années sont plus productives que d’autres. Les producteurs savent que les bonnes récoltes sont atteintes dans les périodes claires et sans nuages, lorsque les températures baissent sous le point de congélation et sont suivies par des températures tièdes avec une faible diminution de la pression atmosphérique. Cependant, le savoir traditionnel doit être validé avec une approche objective et quantitative afin de comprendre les processus physiologiques et environnementaux impliqués dans cette production et comment la dynamique de la coulée changera à travers le Québec dans le nouveau contexte climatique attendu dans le futur. 


Les changements climatiques auront des effets importants sur l’érable à sucre, avec des conséquences qui pourraient varier à travers l’aire de distribution de l’espèce au Canada. Avec l’augmentation de la température, les érablières pourraient connaitre des saisons plus hâtives et aussi productives ou encore écourtées et peu ou pas aussi productives. Des études basées sur des analyses de simulations climatiques prévoient un avancement de la saison des sucres de 9 à 19 jours d’ici 2100 et des pertes potentielles de l’ordre de 15 à 22 %. La température de la journée se modifie d’une façon hétérogène : les périodes les plus perturbées par ces changements sont les nuits, ce qui pourrait affecter les différentiels thermiques entre le jour et la nuit (les cycles de gel et de dégel qui favorisent une bonne coulée) et la phase de contraction nocturne du tronc. Des résultats préliminaires au Saguenay-Lac-Saint-Jean indiquent qu’au cours des 59 jours de la saison des sucres 2018, les 12 meilleurs jours de coulée (20 % de la période de production) ont produit le 80 % du volume total en eau d’érable de l’année. Une telle concentration de la coulée sur peu de jours peut affaiblir ou au contraire assurer le maintien du processus de production dans le futur. Il serait donc important de mieux comprendre les conditions météorologiques associées aux journées qui permettent une telle production. 

LA PRODUCTION DE LA SÈVE D’ÉRABLE – Au printemps, quand la fonte de la neige rend l’eau liquide disponible aux racines, les séquences de gel/dégel causent des changements de pressions dans le xylème et favorisent l’écoulement de la sève à travers l’entaille. L’acériculture est dépendante du climat et des fluctuations dans les conditions météorologiques de l’hiver et du printemps, et elles peuvent assurer une récolte satisfaisante ou la compromettre. 


Les modèles climatiques prédisent des augmentations de 3°C au cours des 50 prochaines années. Le réchauffement sera asymétrique au niveau géographique, saisonnier et journalier, ce qui implique que les changements les plus importants sont attendus dans les régions nordiques de l’Amérique, pendant l'hiver et le printemps, et principalement la nuit. Par exemple, entre 1950 et 1993, le taux d’augmentation des températures nocturnes a été le double de celui des températures diurnes, ce qui conduit effectivement vers un climat printanier avec des amplitudes thermiques réduites. Des hivers moins froids pourraient aussi diminuer la concentration des sucres accumulés dans les tissus, et par conséquent réduire le taux de sucre de l’eau d’érable. Les températures plus douces et la réduction de l’écart thermique journalier des printemps pourraient réduire l’activité de récolte de la sève ou favoriser un déplacement des conditions optimales de la production acéricole vers le nord. Les printemps chauds pourraient accélérer les processus de réactivation de la croissance des érables et devancer les changements chimiques qui produisent la sève de bourgeon et la dégradation du goût du sirop qui en découle. Des simulations préliminaires d’une augmentation de 3 °C sur l’indice de réveil de dormance suggèrent que les défauts du goût pourraient apparaitre plus tard dans les régions nordiques, mais plus tôt au sud. Ces résultats, qui nécessitent une validation supplémentaire à plus grande échelle temporelle et spatiale, devront être comparés à la dynamique de la coulée et à la réactivation de la croissance des érables, événements qui sont étroitement connectés. Il devient donc important de mieux comprendre et prévoir comment le climat futur affectera la phénologie de l’érable, son microbiome, le calendrier de la coulée, les composants chimiques et la fraction de saccharose solubilisée dans la sève pour adapter la filière acéricole québécoise aux nouvelles conditions de production en forêt et déterminer où devrait se faire l’expansion de cette industrie afin de profiter au maximum des conditions climatiques futures. 


Les nouvelles technologies ont amélioré le processus de récolte et le rendement par entaille. Les tissus de la tige fonctionnent comme un réservoir qui se remplit d’eau à travers l’absorption par les racines. Lorsque la sève est récoltée traditionnellement à la chaudière, le niveau d’eau dans l’arbre doit être plus haut que le trou d’entaille pour amorcer la coulée. Lorsque le chalumeau est soumis à des tensions négatives (collecte sous vide), l’eau dans l’arbre peut être transportée par les tissus du bois jusqu’à la tubulure même si le niveau d’eau dans l’arbre est plus bas que l’entaille. Les conditions sous vide permettent donc de mieux exploiter la réserve en eau des tissus en vidant le réservoir et en stimulant l’absorption de nouvelle eau par les racines. Le système de tubulures sous vide permet d’augmenter de 30 à 80 % la production par rapport à la collecte traditionnelle par chaudière. De manière plus détaillée, on ignore toutefois comment se déploie cette augmentation de rendement par rapport à la coulée naturelle. De plus, l’impact de la collecte sous vide sur les communautés microbiennes reste inconnu. Des bactéries qui altèrent plusieurs types d’aliments réfrigérés sous vide ont été repérées récemment dans le concentré d’eau d’érable et associées à des sirops comportant des défauts de saveur. Les études sur la coulée devraient apporter la réponse à ces questions pour comprendre si et comment le rendement de la collecte sous vide pourrait être influencé par les changements des conditions environnementales en cours et si des ajustements aux pratiques devraient s’effectuer. 

Objectifs du projet

Le projet analysera la saison des sucres et ses changements dans le temps et dans l’espace à l’aide de capteurs automatiques à haute résolution temporelle et quantifiera les composantes physiologiques, microbiologiques et environnementales impliquées dans la production d’eau d’érable et dans la réactivation de la croissance des tiges. L’équipe, formée de chercheurs, provenant de 7 universités et 2 centres de recherche et ayant des expertises variées, de praticiens acéricoles et de producteurs québécois, œuvrera pour une meilleure connaissance multiéchelle du phénomène de la coulée et des conséquences sur la production de sirop d’érable dans un contexte de climat actuel et futur. Nous proposons de profiter d’un réseau pilote de placettes permanentes pour le suivi de la coulée d’eau d’érable et de la croissance des arbres à travers l’aire de répartition latitudinale de la production acéricole au Québec. Les objectifs spécifiques sont :

  1. D’étudier le calendrier de la coulée à haute résolution temporelle et l’associer au temps de réactivation printanière de la croissance des érables et au niveau de contamination microbienne;
  2. De comparer la coulée naturelle avec la production en collecte sous vide et d’identifier les pratiques de production qui permettent d’expliquer l’augmentation du rendement à l’entaille; 
  3. De quantifier la relation entre la date d’entaillage, le volume de coulée et la concentration en sucre de l’eau d’érable et de décrire les facteurs (notamment la croissance microbienne) qui expliquent les modifications quantitatives (relatives au volume);
  4. De proposer un outil d’aide à la décision qui guidera les producteurs et les praticiens en acériculture vers des pratiques qui tiennent compte des effets des changements dans le climat et les conditions de croissance des arbres, et qui identifiera le potentiel d’une expansion vers le nord de l’activité acéricole dans un contexte de changement climatique. 

 

Échéancier

printemps 2026

 

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